Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Bernard, cueilli sur Valeurs actuelles et consacré à la révolte qui monte au sein du peuple français...
Une France en marche vers l'insurrection ?
Au cours des temps, les crises se sont révélées multiformes : religieuses, institutionnelles, militaires, sanitaires, etc. L’Histoire enseigne que la conjonction des crises partielles peut entraîner des bouleversements d’envergure. Le cas de l’Empire romain, à partir du IIIe siècle, est édifiant : crise économique et fuite sociale vers les campagnes, crise identitaire et instrumentalisation de la citoyenneté à des fins fiscales, crise militaire et pression migratoire aux frontières, crise institutionnelle et accroissement du dirigisme étatique. Toute ressemblance avec une situation vécue devrait conduire à en tirer des leçons.
L’actuelle situation de la France est, pour le moins, inquiétante, car elle doit faire face à une pluralité de crises : insécurité physique et matérielle (depuis les incivilités jusqu’à la plus violente des criminalités), insécurité économique et sociale (chômage de masse, retraites incertaines), insécurité culturelle (multiculturalisme dû à une immigration non assimilée, déracinement en raison de la mondialisation, bouleversement des moeurs). L’aggravation possible de chacune de ces crises est naturellement anxiogène. Mais la crispation de l’opinion publique vient également de ce que nombre d’hommes politiques relativisent l’importance, voire nient l’existence, de certaines de ces crises, se contentant d’incriminer la fermeture à l’autre et le passéisme moralisateur.
L’incapacité des politiques à appréhender la réalité de la multiplicité et de l’interaction des crises procède essentiellement de leur idéologie matérialiste : ils réduisent les dysfonctionnements de la société à un trouble dans le domaine de l’avoir. Ils ne parviennent pas à identifier la nature profonde des enjeux, à déterminer le dénominateur commun de toutes les frictions. Ils ne saisissent pas qu’il y a, à leur racine, une crise de l’être : incertain quant à sa persistance en tant que puissance industrielle, militaire ou civilisationnelle, le corps social français vit une étape périlleuse et décisive dans son existence. La porosité des frontières extérieures de l’espace Schengen, les abandons de souveraineté à l’Union européenne, l’explosion de la dette publique, la baisse du niveau scolaire ou encore les émeutes urbaines sont autant de sujets qui illustrent, tant sous l’angle individuel que collectif, la perte des libertés, la dépossession de soi et la dilution de la maîtrise de son destin.
Deux facteurs principaux expliquent la force inhabituelle de l’actuelle exaspération. Premièrement, la conjonction de catégories socioprofessionnelles jusqu’ici distinctes, voire opposées (ouvriers, agriculteurs, employés et artisans) : la paupérisation économique, la spoliation fiscale, le déclassement social et la relégation spatiale dans la France périphérique les rendent solidaires. Deuxièmement, l’affaiblissement des partis politiques et des groupes d’influence (Églises, syndicats) : la contestation qui gronde n’est pas canalisée, comme jadis, par des corps intermédiaires susceptibles de la brider par stratégie ou par idéologie. Aussi, la docilité politique s’efface-t-elle progressivement devant la conviction que sa situation et surtout celle de ses enfants ne peuvent qu’empirer. Ceux qui perdent l’espoir d’une ascension sociale sont naturellement plus enclins que les autres à basculer dans la radicalisation politique.
Leur écoeurement se traduira, sans doute, à l’occasion des prochaines élections, par l’abstention ou le vote FN. Mais se réduira-t-il à cela ? Ce n’est pas être alarmiste que de poser la question. L’expérience montre que, lorsque la confiance des citoyens dans le personnel politique disparaît (à cause de l’impuissance ou de l’inconséquence de ses mesures), la légitimité du pouvoir est réduite à peu de chose. Par le passé, en 1848 comme en 1958, le régime s’est effondré en quelques semaines. Il suffit d’un événement, même anodin, pour cristalliser les mécontentements et révéler leur unité. Qu’elle arbore les drapeaux roses de la “manif pour tous” ou les bonnets rouges de la révolte contre l’écotaxe, c’est la même colère qui est en marche contre les promesses électorales sans lendemain et la condescendance des élites.